« Déjà s’envole la fleur maigre », le film réalisé par Paul Meyer en 1959 dans le Borinage, ressort dans les salles à l’occasion des 70 ans de l’immigration italienne en Belgique. Bien plus qu’un simple film…
Au Pass, des extraits du film « Déjà s’envole la fleur maigre »
Des enfants qui dévalent les terrils sur des platines à tarte, des hommes qui remontent de fosse, de jeunes Italiens qui dansent avec de jolies blondes bien de chez nous, un vieux mineur qui contemple le paysage du haut d’un terril en égrenant, comme une litanie, « Borinage, charbonnage, chômage » : ces images marquantes et bien d’autres sont connues des visiteurs du Pass; elles défilent sur les grands écrans de l’exposition « le Grenier des histoires« , consacrée au passé minier du site de Crachet et sont extraites du film « Déjà s’envole la fleur maigre ».
Une occasion jusqu’ici quasi unique de voir ces images, puisque le film de Paul Meyer, considéré pourtant comme un chef-d’oeuvre du cinéma réaliste, n’a pas fait long feu dans les salles de cinéma. À l’époque de sa sortie, le film ne fut programmé qu’une semaine à Bruxelles et une semaine à Mons. Il était montré par contre – pour des raisons différentes – dans les réunions syndicales pour le compte-rendu qu’il faisait de la réalité sociale de l’époque, dans les festivals où il a récolté des prix et dans les écoles de cinéma, où on le comparait à « La terre sans pain de Buñuel ou à « la terre tremble » de Visconti, pas moins.
Aujourd’hui, « Déjà s’envole la fleur maigre » en version restaurée par la Cinematek à l’occasion des 70 ans des accords « charbon » entre l’Italie et la Belgique. Il est visible dans plusieurs salles du pays; une édition dvd est prévue également.
Le film : une histoire maudite…
Son histoire est un peu maudite… Rétroactes.
À partir de 1946, suite à la convention signée entre les gouvernements belge et italien prévoyant l’arrivée de 50 000 travailleurs issus de la péninsule contre du charbon, ce sont 2000 hommes qui arrivent par train chaque semaine dans les régions minières de Belgique, suivis par la suite des femmes et enfants.
En 1959, le Ministère de l’Instruction publique commande au réalisateur Paul Meyer un film sur l’intégration des enfants d’immigrés. Mais en préparant ce qui, à la base, devait être un court-métrage, le cinéaste se rend compte que la réalité est loin d’être ce qu’on imagine dans la capitale. L’accueil n’a pas toujours été à la hauteur et l’intégration n’est pas facile. Il revoit complètement le scénario, propose de suivre à la fois l’arrivée d’une famille sicilienne dans le Borinage qui commence à fermer ses charbonnages et un mineur qui aspire à retourner en Italie après 17 ans de bons et loyaux services. Les scènes sont réalistes, puisées dans la vie quotidienne et donc loin des clichés de bonne intégration véhiculés à Bruxelles. Le Ministère ne l’entend évidemment pas de cette oreille, réclame l’argent donné pour avance et refuse de continuer à soutenir le projet : le film ne correspond pas à la commande. Paul Meyer décide de le poursuivre, se met en quête de fonds…et s’endettera jusqu’au cou pour réaliser ce qui est aujourd’hui considéré comme un chef-d’oeuvre. Un film qui mêle fiction et documentaire, part des personnages réels en les mettant en scène dans un Borinage à la fois joyeux et en déclin, et raconte la vie au jour le jour de familles immigrées italiennes, mais aussi polonaises ou grecques.
Le témoignage de Paul Meyer
Peu de succès, disions-nous, à sa sortie. Dans les années 90, pourtant, il connaît un regain de succès non pas chez nous, mais dans les salles parisiennes et en France. En 1994, Paul Meyer en personne (aujourd’hui décédé) était venu présenter son film au cinéma « Galeries » à Mons. Nous y étions… Il nous avait raconté son histoire, ses difficultés à mettre en oeuvre le film comme il l’entendait, les dettes accumulées pour en venir à bout, dettes qu’il était toujours en train de rembourser.
Un témoignage de poids pour replonger dans le contexte de l’époque : « Quand nous sommes venus filmer, en janvier 1959″, nous racontait ce soir-là Paul Meyer, « une grève très violente venait d’éclater dans les bassins miniers, suite aux décisions de la CECA de fermer certains charbonnages (NDLR le site de Crachet fermera ses portes en 1960 suite à ces décisions). Nous n’avons donc pas tourné à ce moment-là, mais quand nous sommes revenus en août, la grève était finie et les mineurs commençaient à faire le deuil de leur métier. Les gens se posaient des questions essentielles : « nous n’avons plus de travail; allons-nous retourner en Italie ou restons-nous ici ? » Et comme beaucoup d’enfants avaient commencé leurs études, de nombreuses familles sont restées. La plupart des enfants s’adaptaient, apprenaient le français, mais il était évident que les autorités ne faisaient rien pour faciliter leur accueil. Nous ne le disons pas de façon brutale, mais nous montrons les choses », disait encore le réalisateur.
Du film se dégage une grande poésie, un regard positif sur la vie alors que les conditions d’accueil étaient loin d’être idéales. Une poésie corroborée par le titre que Paul Meyer a choisi pour son film : « Déjà s’envole la fleur maigre », est extrait d’un poème de Salvatore Quasimodo, auteur sicilien lauréat du prix Nobel de littérature en 1959.
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