Explorons dans ce numéro l’un des freins à la diversification des genres dans le milieu professionnel en reflétant les perceptions des jeunes sur le sujet.

Nous examinons les observations des jeunes du parcours Esteam-toi des centres de Liège, Namur, Limal et Charleroi. Pour mieux comprendre le déroulement de ces ateliers, retrouvez les articles précédents (article 1 et et article 2).


Pourquoi des entreprises ou des métiers restent dominés par un genre ? 

Jeunes et sociologues s’interrogent sur les raisons de cette domination genrée. Une des approches est d’essayer de comprendre les obstacles à l’embauche.

C’est ainsi que D. Gaucher, J.Friesen et A.Kay ont mené en 2011 des études [1] sur les formulations des offres d’emploi. Il est couramment interdit d’adresser une offre à un genre précis. Cependant, la formulation des annonces peuvent révéler un poste plus « masculin » ou « féminin ». Ces chercheurs ont donc étudié les effets de langage, de façon genrée ou neutre, sur des potentiel·le·s candidat·e·s. Les annonces avec un langage masculin étaient moins attrayantes pour les candidates potentielles que les mêmes emplois formulés différemment. À l’inverse, J. He et S.Kang ont démontré que les annonces neutres ou avec un langage féminin attiraient un plus grand nombre de candidats, quel que soit leur genre.

Ces études mettent en lumière l’importance du sentiment d’appartenance comparé à la perception de compétence pour une offre d’emploi. A emploi égal, le langage utilisé pour décrire le profil recherché influence les candidatures genrées.   

Aucun jeune du groupe de Liège n’a pensé à exercer un métier dominé par le genre opposé. On peut alors imaginer que l’un des freins serait le sentiment d’appartenance potentielle audit métier. Les jeunes ne se projetteraient pas dans une profession stéréotypée où leur genre est sous-représenté.

Bien plus que des mots ?

Des recherches plus récentes [2] menées par E.Castilla et H.Rho semblent modérer les résultats présentés précédemment. Elles relativisent les effets que les offres d’emploi peuvent avoir sur les inégalités de genre en entreprise. La formulation des offres aurait un impact négligeable sur l’attractivité des postes à des genres opposés. Pour Castilla, c’est l’image même de l’entreprise et la culture qu’elle véhicule qui a de l’importance dans les choix de candidatures.

Les candidat.e.s à l’embauche ne se basent pas uniquement sur la formulation de l’offre d’emploi. Il et elles vont effectuer des recherches sur l’entreprise même ou connaissent déjà sa réputation. Plus qu’un métier spécifique et la fiche de poste précise, c’est l’environnement professionnel qui peut véhiculer des stéréotypes genrés.

Les travaux de Castilla et Rho soulignent que les efforts pour attirer une diversité de candidats doivent aller au-delà des reformulations pour englober la culture d’entreprise et les politiques inclusives. Ces initiatives contribuent à créer un environnement de travail véritablement accueillant pour tous les genres.

Cette approche entre en échos avec les réflexions du groupe de Namur qui a débattu de la persistance de métiers soi-disant « réservés à un genre » en contraste avec des secteurs entiers. Un métier peut être le même dans des secteurs extrêmement différents, c’est la perception du secteur qui entrera plus fortement en jeu dans la perception des stéréotypes de genre.

Une approche globale des stéréotypes de genre au travail

F.Dobbin a étudié les différentes politiques de luttes contre les inégalités en entreprise [3]. Dans différents ouvrages, il pointe du doigt des mesures cosmétiques, préférant des approches plus globales et systémiques. Il promeut notamment la recherche ciblée auprès des universités ou des associations professionnelles. Il suggère aussi la constitution de comités de recrutement diversifiés pour limiter les biais.

Un des participants du centre de Limal a réagit aux vidéos présentant des personnes exerçant une profession dominée par le genre opposé en ces termes : « Ils ou elles sont dans leur Ikigaï. ». C’est une façon très juste de souligner la force vocationnelle que peut avoir un individu allant à l’encontre des stéréotypes de genre. D’autres jeunes relèvent plutôt le « courage de s’affirmer » qui traduit le même sentiment. Il s’agirait d’un effort personnel pour se projeter dans un métier apparemment exclusif à certains genres.

La lutte contre les stéréotypes de genre au travail ne peut pas reposer sur des trajectoires individuelles ou vocationnelles inspirantes. Il y a une réelle nécessité à mettre en place une culture globale d’entreprise pour les personnes, tous genres confondus, puissent ressentir un sentiment d’appartenance potentielle lors de leur recherche d’emploi.


[1] Danielle Gaucher, Justin Friesen, Aaron J. Kay, Evidence That Gendered Wording in Job Advertisements Exists and Sustains Gender Inequality, Journal of Personality and Social Psychology, American Psychological Association, Vol. 101, p109–128, (2011)  http://gender-decoder.katmatfield.com/static/documents/Gaucher-Friesen-Kay-JPSP-Gendered-Wording-in-Job-ads.pdf

[2] Emilio J. Castilla & Hye Jin Rho, The Gendering of Job Postings in the Online Recruitment Process, Management Science, INFORMS, Vol. 69, p6912-6939, (2023).

[3] Franck Dobbin, Alexandra Kalev, Why Diversity Programs Fail, Harvard Business Review, July-August 2016 https://hbr.org/2016/07/why-diversity-programs-fail

Voir aussi : Joyce C. He, Sonia, K. Kang, Identities between the lines: Re-aligning gender and professional identities by altering job advertisement language, Academy of Management Proceedings, Vol.1, (2022).